Le pain acide ? Du mauvais travail !

Le pain acide ? Du mauvais travail !

Un boulanger qui fait du pain acide ne sait pas travailler.

C’est une phrase que j’ai souvent entendue à mes débuts. Qui en est l’auteur ? Je n’en ai aucune idée. Quand on lit les Anciens, de Parmentier à Émile Dufour, on trouve déjà ce critère d’évaluation du pain. Un pain « sûr », c’est-à-dire aigre ou acide, est tout simplement raté. Il dénote le manque d’attention du professionnel à l’égard de son levain. Autant on disait volontiers que les vieux levains chefs donnaient, après plusieurs rafraîchis, les meilleurs tout-point (prêts à être utilisés pour le pétrissage), mais il était hors de question d’utiliser un vieux chef, ou un levain de première pour pétrir.

L’acidité, ça conserve

Lorsque le pain au levain est devenu l’exception, les amateurs de vrai pain (tout ce qui ne sèche pas dans la journée) recherchaient l’acidité caractéristique du pain au levain. Ce qui était considéré par beaucoup comme un défaut jusqu’à la moitié du XXe siècle était devenu un critère de qualité. On s’est donc mis, à tort je crois, à associer acidité et bonne conservation. Si la baguette tout en douceur  sèche au bout de deux heures, et que la boule aigrelette se conserve plusieurs jours, c’est bien la preuve que l’acidité améliore la conservation. Non ?

Un pain doux

J’ai toujours cherché deux choses en faisant le pain : une mie plutôt aérée et très peu d’acidité. J’ai bien intégré que le pain acide rebutait la majorité, à raison à mon avis. Un jour que je discutais avec un ami viticulteur, il me dit que l’acidité dans le vin participe à sa bonne conservation, comme dans le pain au levain. S’il n’y a pas d’acidité quand tu embouteilles, tu ne pourras pas le garder dix ans. J’acquiesçai. Sur le coup je trouvai l’argument évident. Sauf que dans ma pratique quotidienne, je cherche la bonne odeur de yaourt frais (flagrante pendant l’apprêt), et pas celle de vieux vinaigre. Et quand je ne rate pas ma fournée (la plupart du temps, heureusement), le pain est doux. Personne ne s’est jamais plaint d’une quelconque trace d’acidité. Même en arrière-bouche. Il n’y a qu’en période de canicule que la chose devient vraiment ardue en direct[1]. Et pourtant, il se conserve très bien. Une semaine, et ce n’est pas qu’une façon de parler. Il y a donc sans doute plus que la seule acidité à considérer pour anticiper la bonne conservation d’un pain. En fait, comme souvent, on confond corrélation et causalité : « Si le pain au goût acide se conserve bien, c’est que l’acidité est cause de la conservation ». Sachant que c’est faux d’expérience, je pense au contraire que l’acidité n’est que la trace d’une fermentation poussée trop loin, ou de l’emploi d’un levain trop vieux, ce qui revient au même, et que ce qui améliore la conservation dans la fermentation se produit indépendamment de cette acidification. Il est donc inutile de la rechercher, à moins qu’on ne désire ce goût aigrelet.

Un pain aéré

Outre le pain doux, j’ai toujours recherché un pain raisonnablement aéré, et j’avoue être tombé par moments dans la recherche effrénée des alvéoles superlatives, à la Tartine bread de Chad Robertson. Pendant un temps, mon ebook de chevet a été Open crumb mastery[2] de Trevor Wilson, un ouvrage pratique, rédigé par un boulanger soucieux de donner des clés de lectures sensorielles et pas du jargon de laboratoire inapplicable[3].

La mie très aérée donne de jolies photos, et il y a toujours des candidats pour monter sur le podium de la plus haute hydratation. On s’amuse comme on veut. Pour ce qui est du pain quotidien, je n’ai pas encore trouvé un exemple de pain à l’alvéolage sauvage, comme on dit, qui ne soit condamné à une consommation rapide ; ces pains sèchent vite. Mais quand on pétrit à la main, ce qui est mon cas, on trouve toujours le pain trop dense, par contraste. L’obsession est donc demeurée longtemps intacte chez moi. Et puis un jour, j’ai fini par accepter que le meilleur pain possible, d’après mes propres critères subjectifs (nous en sommes tous là), ne pouvait être autre chose qu’un pain fermenté au levain, sans acidité, avec une mie suffisamment dense pour ne pas sécher trop vite.

Une évidence lorsqu’on le dit comme ça, moi il m’a fallu dix ans pour arriver à cette conclusion !

 

[1] Le travail en direct consiste à conduire la fermentation du pain sans interruption et à température ambiante, par opposition à un travail retardé, pour lequel on va recourir au froid positif pour ralentir la fermentation et répartir la production sur plusieurs jours.

[2] Il n’est vraiment utile que si vous faites le choix d’utiliser des farines au profil proche de celles qui sont produites en Amérique du Nord. L’autolyse systématique n’a pas lieu d’être dans nos contrées, surtout sur des farines à faible W.

[3] L’exemple idéal de vulgarisation scientifique au service de la profession a été donné en 1778 par Parmentier avec son Parfait Boulanger. Sa démarche tranchait radicalement avec l’ouvrage de référence précédent publié par l’Académie royale des sciences, puisqu’il ne s’est pas contenté de recueillir les témoignages de différents boulangers du royaume mais qu’il a également mis la main à la pâte, conduit lui-même ses expérimentations, et qu’il a su, en connaissance de cause, présenter au public la méthode qu’il jugeait être la meilleure.
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