canards en plastique jaunes alignés sur des étagères

Boulanger ou marchand de pain ?

C’est une vieille distinction dans la profession, il y a les boulangers, les artistes comme on disait autrefois, au fournil, au pétrin, et les marchands de pain, qui ne sont que de vulgaires patrons. Ils atomisent la production pour que chaque minuscule étape du process puisse être réalisée par la main-d’œuvre la moins qualifiée possible ; le but du jeu étant évidemment de payer au lance-pierre des salariés non qualifiés. Je pense que tout boulanger animé de la passion véritable du pain se défendra d’être un « marchand de pain ».

Je crois néanmoins que les choses sont toujours plus compliquées que cela. Il n’y a pas d’un côté les gentils artisans passionnés et de l’autre les capitalistes obsédés par les marges et insensibles au turnover. En fait, on peut facilement glisser d’un rôle à l’autre. Être convaincu de toujours avoir le feu, les mains dans la pâte et traiter un quart d’heure après une vendeuse comme une « ressource humaine », un simple citron à presser qu’on sacrifiera bientôt aux marges bénéficiaires.

Si l’objectif est de mettre sur pied une énième franchise, alors il vaut mieux adopter l’approche marchand de pain. Un artisan avec un peu d’ambition, qui croit à la valeur de ce qu’il produit, a toujours la tentation d’ouvrir une deuxième boulangerie, puis une troisième, etc. On se dit que c’est le moyen le plus sûr de se protéger de la concurrence et aussi de proposer des produits de qualité supérieure à un large public. Je ne dis pas qu’il est impossible d’ouvrir plusieurs boulangeries en conservant une fabrication de grande qualité. Simplement c’est périlleux. Pour moi, la meilleure approche consiste à embaucher ou former des professionnels extrêmement qualifiés, et à grandir à un rythme raisonnable, qui permette à la fois de motiver tout le monde et de ne pas céder à la tentation du management de fast food. Il vaut mieux une croissance verticale qu’horizontale. Passer plus de temps à rendre son fournil unique plutôt qu’en ouvrir quinze qui n’auront rien de spécial, à part d’être nombreux et accessibles.

Cette notion de croissance verticale vaut aussi pour la gamme que l’on propose. On dirait que c’est à celui qui aura le plus grand nombre de produits en vitrine, qu’il faut cocher toutes les cases pour espérer survivre. Il y a au moins deux problèmes avec cette approche. D’abord, la multiplication de l’offre se fait nécessairement au détriment de l’originalité et de la qualité. Il vaut mieux, à mon avis, ne pas faire de cookies, plutôt que d’en proposer des médiocres pour avoir une option dessert en plus dans la formule déjeuner à 9,90. Personne n’a envie d’une pâtisserie médiocre de plus, il y en a déjà bien assez partout. Le deuxième problème, c’est que chaque nouveau produit nous place en concurrence avec les autres commerces positionnés sur ce créneau. Est-il judicieux de faire du snacking parce que tout le monde en fait, c’est comme ça, si en contrepartie l’ouverture de tout nouveau kebab ou l’arrivée d’un food truck quelconque va nous donner des sueurs froides ?

De la même manière, proposer du pain pas cher, donc élaboré à partir de matières premières bon marché elles aussi, et fabriqué par des salariés payés au minimum syndical, nous jette directement en concurrence avec les franchises et même les supermarchés. Pour ma part, je crois qu’il faut faire le pari d’assumer la singularité du pain au levain artisanal. Assumer de ne parler qu’à un groupe de consommateurs très restreint, celui des passionnés de pain. Le défi consiste à contenter les clients les plus exigeants, ceux qui sont prêts à faire des kilomètres pour ce supplément d’âme qu’aucune franchise ne pourra jamais leur proposer. C’est un choix qui peut sembler effrayant, mais c’est à mon avis le seul disponible pour les artisans déterminés à faire le meilleur pain possible.

On fait du pain pour un petit groupe de personnes, et c’est précisément pour cela qu’il est excellent. Si on vise le grand public, on se condamne à faire du pain de supermarché.

Ce ne sont bien sûr que des réflexions personnelles qui n’engagent que moi, les partager avec vous me permet d’ailleurs de mettre mes idées au clair. Si vous avez trouvé des manières originales de sortir du lot, je serai curieux de les connaître, je pourrai même en faire des articles présentant votre fournil, n’hésitez pas à partager vos expériences !

En attendant, je vous souhaite une bonne fournée.

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1 commentaire

Content de voir que tu veux faire partager ton point de vue Monsieur Tout-Point, il m’a beaucoup aidé dans la réalisation de notre livre.
Le copain Marc de Belgique
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Petit Levain replied:
Merci pour ton commentaire Marc, je dois dire que mon parcours théorique et pratique en boulangerie aurait été très différent si nous n’avions eu l’occasion d’échanger autant. J’en profite aussi pour te remercier pour ta générosité à l’égard de l’ensemble de la profession (la partie de la profession la plus intéressante bien sûr, celle qui est curieuse) et des passionnés de pain. Que cette modeste entreprise éditoriale puisse nous permettre de continuer à partager et entretenir la flamme ! >

Marc DEWALQUE

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